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Colin s’étira, ferma les yeux, et se dora quelques instants au soleil.

Il n’arrêtait pas de penser au chat. Il essayait d’évoquer des images agréables, mais chacune d’elles s’évanouissait pour laisser place à la vision d’un chat ensanglanté dans une cage à oiseaux. Ses yeux étaient ouverts, morts, et néanmoins attentifs. Il était persuadé que le chat attendait qu’il s’approche un peu trop, guettant l’occasion de lui allonger un coup de griffe acérée comme un rasoir.

Quelque chose heurta son pied.

Il se redressa d’un bond.

Roy le dévisagea. « Quelle heure est-il ? »

Colin cligna des yeux et regarda sa montre. « Presque une heure. »

— Allez. Debout.

— Où on va ?

— Ma mère travaille tous les après-midi à la boutique de cadeaux. On a la maison pour nous tous seuls.

— Qu’est-ce qu’on va faire chez toi ?

— Il y a un truc que je veux te montrer.

Colin se releva et épousseta le sable sur son jean. « Tu veux me montrer où tu as enterré le chat ? »

— Je pensais que tu n’y croyais pas.

— Non, c’est vrai.

— Alors laisse tomber. Je veux te montrer les trains.

— Quels trains ?

— Tu verras. C’est vraiment l’éclate.

— On fait la course jusqu’en ville ? demanda Colin.

— Bien sûr.

— Go ! hurla Colin.

Comme toujours, Roy arriva le premier à sa bicyclette. Il était déjà à cinquante mètres, pédalant à toute vitesse dans le vent, avant même que Colin ait posé son pied sur la pédale.

Des voitures, des camionnettes, des caravanes et de lourds mobil-homes se disputaient la route à deux voies. Colin et Roy roulaient sur le bas-côté parsemé de taches d’huile.

La plupart du temps, il y avait très peu de circulation sur Seaview Road. Tout le monde, à l’exception des riverains, empruntait l’autoroute qui contournait Santa Leona.

Pendant la saison touristique, la ville était bondée, grouillant de vacanciers qui conduisaient trop vite et imprudemment. On les aurait crus poursuivis par des démons. Ils avaient tous une telle frénésie, une telle hâte de se détendre, se délasser, se relaxer.

Colin descendit la dernière côte en roue libre jusqu’aux faubourgs de Santa Leona. Le vent lui fouettait le visage, lui ébouriffait les cheveux, éloignant de lui les gaz d’échappement des automobiles.

Il ne put réprimer un sourire. Il ne s’était pas senti aussi heureux depuis longtemps, très longtemps.

Il avait de nombreuses raisons de se réjouir. Il lui restait encore deux mois d’un superbe été californien, deux mois de liberté avant la rentrée des classes. Et depuis le départ de son père, il ne redoutait plus de retourner chez lui tous les soirs.

Il était toujours perturbé par le divorce de ses parents. Mais un mariage brisé valait mieux que les disputes violentes et âpres, devenues depuis plusieurs années un rituel nocturne.

Parfois, dans ses rêves, Colin entendait encore les vociférations accusatrices, le langage banal et ordurier qu’employait sa mère dans le feu de l’action, et puis l’inévitable bruit de coups qui précédait les pleurs. Quelle que fût la chaleur de sa chambre, il était toujours glacé en se réveillant de ses cauchemars – gelé et frissonnant, et pourtant trempé de sueur.

Il ne se sentait pas très proche de sa mère, mais la vie avec elle était nettement plus agréable qu’elle l’eût été auprès de son père. Sa mère ne partageait ni même ne comprenait ses sujets d’intérêt – la science-fiction, les bandes dessinées de terreur, les histoires de vampires et de loups-garous, les films de monstres – mais elle ne lui interdisait jamais de s’y consacrer, au contraire de son père.

Toutefois, le changement le plus important de ces derniers mois, celui qui lui avait apporté le plus de bonheur, n’avait rien à voir avec ses parents. Ce changement, c’était Roy Borden. Pour la première fois de sa vie, Colin avait un ami.

Il était trop timide pour lier facilement connaissance. Il attendait que les autres, gosses viennent vers lui, bien qu’il se rendît compte qu’ils n’étaient guère susceptibles de s’intéresser à un garçon fluet, gauche, myope et studieux, qui s’intégrait mal, et n’aimait ni le sport ni regarder longuement la télévision.

Roy Borden était sûr de lui, sociable, et populaire. Colin l’admirait et l’enviait. Presque tous les garçons de la ville auraient été fiers d’être le meilleur ami de Roy. Pour une raison que Colin ne saisissait pas, Roy l’avait choisi. Sortir avec quelqu’un comme Roy, se confier à quelqu’un comme Roy, et avoir sa confiance – étaient des expériences nouvelles pour Colin. Il avait l’impression d’être un pauvre hère miraculeusement entré dans les bonnes grâces d’un prince.

Colin craignait que cela ne s’arrête aussi brutalement que cela avait commencé.

À cette pensée, son cœur se mit à battre la breloque. En un instant, sa bouche se dessécha.

Avant de rencontrer Roy, il n’avait jamais connu que la solitude ; aussi, c’était supportable. Maintenant qu’il avait fait l’expérience de la camaraderie, un retour à l’isolement serait de toute manière douloureux, accablant.

Colin arriva en bas de la grande côte.

Quelques mètres plus loin, Roy tourna au coin à droite.

Tout à coup, Colin pensa que son ami pourrait essayer de le semer, disparaître dans une ruelle, et qu’il ne le reverrait plus jamais. C’était une idée saugrenue, mais il ne parvenait pas à la chasser de son esprit.

Il se pencha sur son guidon. Attends-moi, Roy. Je t’en supplie, attends-moi ! Il pédalait frénétiquement pour le rattraper.

Arrivé à l’angle, il fut soulagé de constater que son ami ne s’était pas volatilisé. En fait, Roy avait ralenti ; il jeta un coup d’œil derrière lui. Colin lui fit signe. Ils n’étaient éloignés que d’une trentaine de mètres. Ils ne faisaient plus vraiment la course, car tous deux savaient qui serait le vainqueur.

Roy tourna à gauche dans une étroite rue résidentielle bordée de dattiers. Colin le suivit dans les ombres plumeuses projetées par les feuilles de palmiers s’agitant sous la brise.

La conversation qu’il avait eue avec Roy sur la colline résonnait maintenant dans la tête de Colin :

T’as tué un chat ?

C’est ce que je viens de dire, non ?

Pourquoi t’as fait ça ?

Je m’ennuyais.

Au moins une douzaine de fois au cours de la semaine passée, Colin avait eu la sensation que Roy le mettait à l’épreuve. Il était persuadé que la macabre histoire n’était que le dernier-test en date, mais il ne parvenait pas à imaginer ce que Roy aurait voulu qu’il dise ou fasse. Avait-il réussi ou échoué ?

Bien qu’il ignorât quelles réponses on attendait de lui, il savait instinctivement pourquoi on le testait. Roy détenait un merveilleux (ou peut-être terrible) secret qu’il était avide de partager, mais il voulait être certain que Colin en était digne.

Roy n’avait jamais parlé d’un secret, pas un seul mot, mais c’était dans ses yeux. Colin pouvait en apercevoir le contour indistinct, mais pas les détails, et il se demandait de quoi il pouvait s’agir.

La voix des ténèbres
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